mercredi 19 septembre 2012

La Grande Fable de l'Ineffable





Sur le terrain spirituel, les coups de gueule des enseignants, passeurs et autres amis spirituels sont parfois salutaires. A choisir, je les préfère tournés vers les limites de la voie que l'on dispense soi-même.

Toutes les voix et voies authentiques peuvent bien chanter d'apparentes vérités contradictoires ; elles pointent toujours vers le même Silence. Quand le sage montre la lune, on a pourtant souvent tendance à trop regarder le doigt... Et à le trouver trop court, trop long, trop clair ou trop sombre, trop ceci ou cela... quand il ne fait que pointer !

Que certains ressentent ou non ce Silence ou cette Lumière comme une "Joie sans objet" (Jean Klein), une "Paix toujours présente" (Desjardins), le Vide du Tao ou du Chan, le Nirvana bouddhiste ou l'Etre Conscience Béatitude du Vedanta... il ne s'agit toujours que de points de vue fragmentaires et personnels, de fables pointant vers l'ineffable impersonnel.

Et tous ces points de vue participent à cette grande fable de l'ineffable écrite à une seule voix, en dépit des apparences et malgré cette incandescente pluralité.


S'attarder sur les mérites ou limites de telle ou telle forme pointant vers le sans-forme, de telle ou telle vague pointant vers l'océan me semble assez vain et dérisoire.

C'est un peu comme si en musique on nous demandait de choisir entre Mozart et les Beatles, Bach ou Daft Punk. Moi je prends tout. On n'est pas obligé de choisir et l'ouverture sur d'autres fables est toujours un signe d'ouverture sur l'Ineffable.

On n'est pas obligé de choisir entre voie progressive et voie directe.

On n'est même pas obligé de choisir entre ego et Eveil. ;)

On a fatalement ses préférences, mais on n'est certainement pas obligé de choisir...

...entre les partisans actuels de l'approche directe la plus radicale, tels Tony Parsons, Karl Renz ou Jeff Foster, qui insistent tellement, et de façon si convaincante, sur le fait que toute situation est déjà accueillie, juste sous le plancher du moi psychologique...

...et une voie zen, ou l'adhyatma yoga façon Prajnanpad / Desjardins ou l'advaïta sauce Klein / Lucille, ou encore Douglas Harding (à relire peut-être : Les religions du monde, Ed. Accarias, fabuleux opus réconciliateur !), qui ont aussi insisté sur la purification nécessaire du mental afin de pouvoir VIVRE cela dans l'ouverture que nous sommes, et non plus l'appréhender intellectuellement comme une connaissance de seconde main.

Bien que tout coup de gueule ait sa place (comme tout a sa place !), pourquoi continuer à se fixer / figer encore sur ce qui sépare telle ou telle sagesse ? Il y a tant à jouir et se réjouir de ce qui les réunit !

Chaque voie, chaque voix qui chante l'Eveil est une fable pointant vers l'Ineffable.

Aucune n'est réelle, toutes pointent vers le Réel.
Aucune n'est vraie, toutes pointent vers la Vérité.
Aucune n'est aimable, toutes pointent vers l'Amour qui seul Est.

"Beaucoup de salut hors d'Hauteville" nous rappelait souvent, à Hauteville, Arnaud Desjardins, qui visait avant toute autre priorité le dialogue entre toutes les voies, laïques ou religieuses, dans la quiétude qu'apporte la véritable compréhension mutuelle, au-delà des apparents clivages de surface.

Et de cette compréhension naît naturellement l'amour.

A quoi d'autre peut bien servir l'exercice de la sagesse ?

Comme l'écrivait un ami cher, le poète Rodolphe Bléger, "la paix du monde est une fable, la paix du monde est une fable, la paix du monde est une fable... la Paix du Monde est ineffable."

9 commentaires:

  1. Bonjour!
    Je ne suis pas d'accord avec vous!
    Je ne peux pas critiquer ma propre voie, si je suis reelement engagé... Elle par contre, par la voie de l'instructeur ou directement de la vie, peut et doit me critiquer...Critiquer l'enseignement authentique, que ce soit le sien ou celui d'un autre, est contraire au principe même de voie spirituelle, selon moi: la soumission.
    Par ailleurs j'ai émis une critique sur la VST recement sur mon blog "Réalité de l'esprit" et je tiens à dire que je ne la critique pas du tout en tant qu'enseignement. En effet mon propos est de dire justement qu'elle n'est pas un enseignement mais juste un carambar métaphysique ( pour caricaturer un peu).

    RépondreSupprimer
  2. Cher Fabien,

    Merci pour votre commentaire !
    Il m'a permis de modifier légèrement ce texte qui n'était en effet pas très clair sur ce point. Je ne visais certainement pas les chercheurs, mais notais simplement une tendance de certains enseignants ou amis spirituels à critiquer parfois certaines voies plutôt que de s'interroger sur les limites de l'enseignement qu'ils dispensent et leur propre façon de pointer.
    Cela dit, je suis pleinement d'accord avec vous, à une nuance près ! S'il est essentiel de ne pas sans cesse remettre en question une voie ou un instructeur une fois le travail entamé (de la même façon qu'on ne remettrait pas sans cesse en question les conseils d'un maître de musique, à moins de ne pas vraiment vouloir avancer), il est pourtant tout aussi nécessaire de garder l'esprit critique et l'oeil ouvert (les mauvais maîtres de musique existent, et dans ce cas... il vaut mieux en changer !) Quoi qu'il en soit, Arnaud Desjardins rappelait à juste titre qu'il vaut mieux être le bon élève d'un mauvais maître que le mauvais élève d'un excellent maître ! ^^
    Quant à la soumission, c'est une notion qui prête, hélas, à de nombreux malentendus et peut justifier n'importe quel abus d'autorité, y compris les sectes les plus malveillantes... Donc vigilance ! ;) Mais la libération ou l'indépendance visée par la recherche naît en effet, paradoxalement, d'une totale soumission... au réel !
    Cesser de discuter ce qui est. Quoi de plus simple à comprendre, quoi de plus délicat pour l'ego ? :)
    Concernant la Vision sans Tête, je peux pourtant vous assurer qu'elle mérite davantage d'égards et que l'apport de Douglas Harding est bien plus consistant qu'un simple carambar métaphysique ! En témoignent notamment l'excellent blog de José le Roy ou les nombreux livres de Douglas Harding que je vous recommande (particulièrement les Religions du Monde ou les 54 Expériences de spiritualité quotidienne, réunis par José le Roy).
    Après... on est sensible ou non à l'outil, bien sûr. Pour comprendre, il faut être touché. Mais ça n'en atténue aucunement son utilité, son originalité (simple et direct !) ou sa force. Il y a heureusement assez d'outils à notre disposition pour trouver ceux qui nous seront vraiment utiles !
    Bien fraternellement ! Et bonne continuation pour votre blog !

    RépondreSupprimer
  3. En effet il m'apparaît clair que, quoiqu'en dise le mental, la soumission, d'abord au Maitre, puis simplement à ce qui est, soit la clef de voûte de tout enseignement authentique... D'ailleurs n'est-ce pas la traduction du terme Islam...?
    En ce qui concerne mon avis sur la VST, tout est dans ma critique... Et si l'exercice est superbe et très pratique pour apercevoir de quoi il s'agit, ce qui m'a permis de vraiment lancer ma sadhanna avec foi, je doute que celle-ci puisse me mener au but: la libération de l'égo.
    Bien à vous,
    Fabien Meyer

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Cher Fabien,

      Quand vous dites : "je doute que celle-ci puisse me mener au but", ce doute lui-même est peut-être l'obstacle. ;) Simultanément, il peut indiquer aussi que cet outil atteint, pour vous actuellement, ses limites d'emploi. Et c'est parfait comme cela !
      Le présupposé qu'il y ait un but à atteindre et un ego dont se libérer est à examiner avec attention. Si la libération de l'ego, l'Eveil est vu comme un but à atteindre, ce dernier est perçu comme un objet - ce qu'il n'est pas - et comme un état - impermanent par définition, ce qu'il n'est pas non plus - à atteindre, - donc plus tard, et absent maintenant.
      Or il est tout ce qui est, et tout ce que vous êtes réellement.
      Je ne peux que vous suggérer de vous voir déjà éveillé et déjà libéré de l'ego. Ou du moins, si cela vous semble encore artificiel, de ne pas attacher trop d'importance à la distance qui vous sépare de ce but, car la croyance en cette distance est très exactement ce qui vous en sépare. (Ramana Maharshi, pour ne citer que lui : "le principal obstacle à l'Eveil est la croyance que vous n'êtes pas éveillé.")
      Simplement parce que vous n'êtes pas l'ego à libérer, mais ce qui perçoit (librement !) l'ego à libérer... bien que tout l'enjeu soit d'en prendre conscience... c'est-à-dire de s'établir sciemment dans le Réel que vous êtes déjà.

      Bien fraternellement !

      Supprimer
  4. Bonjour à vous,
    Le doute, l’esprit critique (constructif si possible) et l’ouverture me paraissent être les éléments indispensables du cheminement… d’un cheminement sans Dieu, ni maître, ni étiquette. Les voies (et voix) trop lourdement balisées m’ont toujours fait peur, maintenant elles me paraissent même contre-indiquées !
    Je n’ai pas vécu l’expérience libératrice de « l’Eveil », mais je ressens chaque jour, quasi-constamment (à moins d’être dans un stress de boulot intense) une sorte d’appel, d’inspiration vers une « ouverture infinie » (cela sans le concours du moindre produit illicite ;-).
    Dans ces moments-là, j’ai l’impression de voir sur la plupart des visages que je croise, une inspiration similaire.
    Du coup, en effet, je ne vois pas du tout le moindre intérêt à batailler bec et ongles, pour ou contre tel ou tel courant de pensée, tel ou tel « maître » (quel individu un tant soit peu éclairé peut supporter qu’on le désigne comme un « maître » ? ). A quoi bon?

    "
    Et de cette compréhension naît naturellement l'amour.

    A quoi d'autre peut bien servir l'exercice de la sagesse ?
    "

    A mon avis batailles de chapelles et "sur-théorisations" sont nocives, mais bon je ne veux pas non plus en faire un dogme et reste donc ouvert à toutes vos propositions, même les plus insensées!!!
    Soyons ouvert aux autres sans distinction, au monde sans aucune limite (l’esprit critique jouera son rôle de garde-fou : c'est pour les propositions insensées, ça...).

    L'inspiration dont je parlais plus haut ne me paraît pas être une soumission mais plutôt un envol :
    http://www.youtube.com/watch?v=J6PNgL9UbpY&feature=related

    RépondreSupprimer
  5. Merci, Cyril ! ;)

    En profonde communion avec ces mots. :)

    Je retiens particulièrement cette phrase : "Dans ces moments-là, j’ai l’impression de voir sur la plupart des visages que je croise, une inspiration similaire."

    Il y a là une véritable clé.
    Qui pointe vers la connaissance qu'il n'y a pas d'Eveil individuel. Au coeur de cet Envol permanent du Réel qu'on appelle parfois Eveil, aussi paradoxal que cela puisse paraître, tout et tous s'éveillent, mieux, tout et tous ont été éveillés de tout temps, et pourtant tout est "tel qu'il est" dans le rêve du temps.
    Tout est vu depuis la lumière - sans temps et sans espace - de l'Eveil et de l'unicité, la lumière du JE SUIS dans laquelle je me reconnais. Et cette reconnaissance est amour. (On pourrait dire aussi que l'Eveil pointant l'absence de toute entité, PERSONNE ne s'éveille.)

    Merci aussi pour le lien, sublime Envol en effet... qui fera sans doute l'objet d'un post ! ;)

    A très vite.
    Bises fraternelles.

    RépondreSupprimer
  6. Bonjour Rodolphe,
    Le but de la spiritualité c'est remettre l'égo à sa place. L'égo est une illusion bien réelle et qui a la peau dur.
    Je reste persuadé que l'essentiel est de s'engager et de persister.
    Pour ma part j'ai choisi A.D
    Ce qui est proposé y est un chemin complet.
    Ça m'interresse davantage aujourd'hui de progresser dans cette voie que de lire ou de comprendre la réalité décrite par le sage le plus puissant ou le plus radical, ou même de m'eveiller ou encore de lâcher le chercheur ...
    C'est vraiment n'importe quoi sérieusement, quand on voit l'exigence que de demande la voie( je repense à Arnaud expliquant qu'il était obligé de repousser Emanuel son fils alors âgé de dix ans qui ne comprenait pas pourquoi son père les abandonnait, lui et sa mère si souvent le soir , alors qu'en fait Arnaud, en accord avec son maître, allait rejoindre Dalida afin de réaliser un désir puissant. Cette histoire m'a beaucoup touché... Mais il faut avoir du cœur pour comprendre et se mettre par exemple à la place de l'enfant... Pas seulement un cerveau et une tête!).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Fabien,

      Désolé pour le retard, je viens de découvrir votre message qui s'était retrouvé dans les spams.

      Je ne peux qu'approuver votre dernier message, étant moi-même un ancien élève d'Arnaud Desjardins, dès 1999, à une époque où il était encore possible de le rencontrer en entretien individuel. Je ressens aujourd'hui pour l'enseignement de celui qui fut mon maître une gratitude infinie !

      Et je ressens la même gratitude pour Daniel Morin, le plus proche collaborateur d'Arnaud à l'époque (et durant de nombreuses années). Plus tard, la rencontre et l'amitié d'Alejandro Jodorowsky (qu'Arnaud connaissait bien !) ont été également déterminantes pour mon parcours de chercheur et d'artiste.

      Les années passées depuis que l'expérience libératrice s'est produite, m'ont permis de mesurer à quel point se vérifiait chaque parole d'Arnaud - dont la voie, celle de Prajnanpad, est à la fois directe et progressive (insistant à la fois, comme l'advaïta, le dzogchen tibétain ou le zen soto sur l'immédiateté de l'Eveil ; et constituant néanmoins, en apparence, un véritable cheminement, à la façon plus progressive du zen rinzaï par exemple) et combien, comme Arnaud le soulignait : "une fois que vous aurez abordé l'île, il reste toute l'île à explorer !"

      L'Eveil est d'ailleurs considéré dans certaines voies non comme la finalité, mais comme véritable porte d'entrée sur la voie. Avec son intégration, un autre chemin commence. Même si c'est un chemin désormais libre du temps, il demeure un chemin d'approfondissement constant. Et un chemin où la tête ne prend jamais la place du coeur. ;)

      Quand vous dites "ça m'intéresse davantage de progresser dans cette voie que de lire ou de comprendre la réalité décrite par le sage le plus puissant ou le plus radical, ou même de m'éveiller ou encore de lâcher le chercheur...", vous parlez en fait de la même chose, puisque le but de la voie proposée par Arnaud est très précisément de comprendre la réalité décrite par un sage, Arnaud inclus (il n'y a pas de "sage plus puissant ou radical"), de s'éveiller et de lâcher le chercheur. C'est bien vers cela que vous cheminez ! ;)
      Votre respect de votre voie est tout à votre honneur... veillez simplement à ne pas en faire un dogme ou une nouvelle croyance à laquelle le mental tenterait de se raccrocher... ce qui constituerait un merveilleuse stratégie d'évitement ! :)

      Plus loin, ce que vous désignez par "n'importe quoi" n'est pas clair, mais je suppose que vous pointez une tendance de certains à interpréter l'immédiateté de l'Eveil (voie directe) comme quelque chose de tellement facile et sans effort, puisque déjà là, qu'elle remet nécessairement en question toute idée de cheminement. C'est évidemment l'écueil le plus fréquent pour les chercheurs attirés par une voie directe, car réaliser l'immédiateté et la permanence de l'Eveil n'est, pour la plupart des gens, pas une mince affaire. Réaliser l'impuissance totale du chercheur demande souvent des années ! La contradiction entre Eveil/Voie abrupt(e) et progressif(ve) n'est donc qu'apparente.

      Supprimer


  7. Quant aux chercheurs apparemment engagés sur une voie plus progressive, l'écueil majeur serait plutôt de renforcer l'ego et le sens de la dualité en restant dans la croyance en un cheminement nécessaire, progressif et linéaire, ce qui est à la fois juste d'un certain point de vue (celui du chercheur inexistant) et faux d'un autre (celui du Réel ou de l'Absolu).
    Je crois que tout chercheur peut, à un moment ou un autre, connaître l'un de ces écueils (et bien d'autres !).

    Pour ma part, il m'a fallu des années avant de me sentir véritablement en mesure d'accompagner ; mon rôle est d'aider au mieux à éviter à chacun les écueils par lesquels je suis moi-même passé, tout en sachant, comme rappelait Arnaud, que chacun devra "payer tout le prix". Pour cette raison, j'insiste souvent sur le fait que la voie est à la fois directe et progressive.

    Du point de vue du chercheur, il s'agit de remettre l'ego à sa place. Du point de vue de l'Eveil, l'ego n'a jamais existé et son illusion ne semblait "réelle" ou persistante que parce qu'elle n'avait pas été sérieusement examinée. Mais tout vient à point !

    Bon courage sur la Voie... mais surtout, ENJOY IT !
    "Toute action qui ne lui apporte pas de joie est nocive à l'homme." Swami Prajnanpad
    La Joie est là, au coeur de ce qui est. Elle est le Réel.

    Bien fraternellement !

    RépondreSupprimer